Le Daghestan à la conquête du MMA : la république des champions
Le Daghestan domine le monde du MMA
Le calcul est difficilement réalisable, mais on doute fort qu’il nous donne tort : jamais une si petite république, de 3 millions d’habitants à peine, n’a fourni au MMA autant de champions et de combattants de haut niveau que le Daghestan. La petite république russe, située dans le Caucase, domine la division n°1 de l’UFC (lightweight) depuis l’avènement de Khabib Nurmagomedov en 2018 : Charles Oliveira a brièvement repris le titre laissé vacant par Khabib, mais c’est rapidement son successeur spirituel Islam Makhachev qui a reconquis le trône et n’est pas près de le céder.
Un autre Nurmagomedov, Usman, petit cousin de Khabib, est actuellement champion lightweight du Bellator, rival de l’UFC ; Umar Nurmagomedov, le troisième larron, a récemment défié Merab Dvalishvili pour la ceinture bantamweight de l’UFC et est appelé à devenir champion un jour. Et il n’y a pas que les Nurmagomedov : le 8 mars prochain, à l’UFC 313, Magomed Ankalaev défiera Alex Pereira pour la ceinture light-heavyweight.
Le terrifiant Sharabutdin « Bullet » Magomedov, 14e de la catégorie middleweight, combat le week-end prochain Michael Page lors de l’UFC Fight Night 250 à Riyad : en 2024, « Bullet » avait signé l’un des K.O de l’année, et il fait partie des plus grands espoirs du MMA. Sur cette même carte, un certain… Saïd Nurmagomedov combattra – aucun lien de parenté, cette fois, mais bel et bien un énième talent daghestanais.
La diaspora daghestanaise se répand dans le MMA
Et tout cela sans même mentionner la diaspora et les combattants qui, officiellement, ne brandissent plus ni le drapeau russe ni les couleurs du Daghestan dans l’octogone. On pense là au Français d’adoption Nassourdine Imavov, n°5 de la catégorie middleweight et main event ce week-end qui défie Israel Adesanya pour se rapprocher de la ceinture. Ou à son compatriote Abdoul Abdouraguimov, double champion de l’ARES FC et en route vers un titre au PFL, concurrent de l’UFC. Bref : le Daghestan est partout, et sans même un pays à part entière, s’est imposé comme l’un des acteurs majeurs du MMA mondial – on ne pense parfois même plus « combattant russe » : on pense « combattant daghestanais », tant la distinction est évidente dans l’esprit des amateurs du sport.
L’école Nurmagomedov
Un nom, bien sûr, est indissociable de ce succès : celui de Nurmagomedov. Non pas Khabib, même si le Hall Of Famer de l’UFC a inscrit son nom dans la légende en battant Conor McGregor en 2018, braquant les projecteurs sur le Daghestan jusqu’à sa retraite, invaincu, en 2020. Mais bien le nom d’Abdulmanap Nurmagomedov, son père et coach, tragiquement décédé en 2020 des suites du COVID-19.
Abdulmanap Nurmagomedov est reconnu en Russie comme le plus grand entraîneur de sambo – discipline d’arts martiaux mixtes originaire de Russie et pratiquée au sein de l’armée, dont presque tous les grands champions tels que Fedor Emelianenko ont été champions avant de passer en MMA – de l’histoire du pays. Le père de Khabib a mené 18 athlètes jusqu’au titre mondial en sambo, un record. Son style de prédilection : une lutte agressive, réputée presque invincible, et perfectionnée à l’aide d’un entraînement ardu dans les montagnes du Daghestan.
Armés d’une discipline de fer, Abdulmanap et ses disciples ont amené au MMA une équation comparable à celle qu’était, aux débuts du style, le jiu-jitsu brésilien (« BJJ ») de l’école Gracie. La rivalité entre la lutte daghestanaise, le «BJJ » et la lutte gréco-romaine plus classique pratiquée aux USA est l’un des grands enjeux du MMA moderne, et à l’heure actuelle, c’est bien l’école Nurmagomedov qui a pris un solide ascendant sur les autres.
Khabib Nurmagomedov : de légende à entraîneur des nouveaux champions
Depuis sa retraite, précipitée par le décès d’Abdulmanap, Khabib Nurmagomedov a pris sa suite à la tête du gym Eagles MMA, où s’entraînent la plupart des champions issus du Daghestan. L’ex-champion semble promis à devenir lui aussi un coach à succès, maintenant qu’il paraît clair qu’il ne reviendra plus dans l’octogone après avoir refusé des offres mirobolantes de la part de l’UFC.
Le succès du Daghestan en MMA dépasse les frontières de la région
Mais cette success story caucasienne dépasse les frontières étroites du Daghestan. Elle s’inscrit dans une réalité plus globale : tout d’abord, celle de la culture de réussite sportive installée au sein de l’ex-URSS. La performance sportive, en sports individuels comme collectifs, était érigée en véritable culte durant la Guerre Froide, un « soft power » très important face aux USA et à l’autre pays communiste majeur, la Chine. Le succès de cette politique se calculait en médailles aux Jeux Olympiques, dans des disciplines telles que la lutte (le plus grand lutteur de tous les temps, Alexander Kareline, Russe, présente un bilan en carrière de 887-2) ou la boxe, futures composantes majeures du MMA.
Le Daghestan et sa tradition de lutte profondément enracinée
La lutte, devenue l’arme principale de l’arsenal daghestanais, est aussi un sport ancré depuis des temps immémoriaux en Asie Centrale et dans le Caucase, introduit par les tribus nomades comme les Huns qui ont conquis la région à travers l’Histoire. En Mongolie, son ancêtre est toujours pratiqué sous le nom de « lutte mongole ». La Géorgie, voisine directe du Daghestan, pratique le « chidaoba », forme locale de lutte, depuis l’Antiquité et Merab Dvalishvili, champion bantamweight de l’UFC, est l’un des meilleurs lutteurs de l’organisation. Il a récemment battu… Usman Nurmagomedov, preuve que le Daghestan n’est pas invincible en MMA.
Quant à la Tchétchénie, autre république caucasienne de Russie, elle n’est pas en reste avec en tête de gondole Khamzat Chimaev, 3e de la catégorie middleweight de l’UFC et promis à un combat pour le titre en 2025. Sa principale qualité ? Sa lutte, bien sûr. Le Caucase n’en a pas fini de tutoyer les sommets du MMA mondial… pour mieux les amener au sol.