Cyclisme : Le peloton en chute libre

Ces dernières semaines, deux incidents majeurs ont retenu l’attention : le carambolage survenu à A Travers la Flandre et au Tour du Pays Basque. Des figures emblématiques telles que Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel et Wout van Aert se retrouvent désormais en convalescence pour plusieurs semaines. Bien que ces deux accidents aient été particulièrement médiatisés, ils ne constituent qu’une infime partie des chutes survenues en ce début de saison. Ébranlés par ces événements, les coureurs ont même exprimé le souhait d’intégrer une chicane avant la Trouée d’Arenberg en marge de Paris-Roubaix. Cela témoigne d’une prise de conscience naissante au sein du peloton, reflétant ainsi la nature humaine qui a toujours été attirée par le spectaculaire pour échapper à son apathie. Quelles sont donc les causes de ces chutes récurrentes ?

« Il n’y a pas plus con qu’un coureur en course »

Selon Marc Madiot, directeur de l’équipe Groupama-FDJ, l’urbanisation complexifie les parcours des courses cyclistes, avec une multiplication des aménagements urbains conçus pour ralentir la circulation, ce qui rend difficile leur compatibilité avec les courses cyclistes. Bien que ce constat soit juste, il est irréaliste de demander à rendre les routes plus dangereuses pour satisfaire les besoins des courses professionnelles.

Le système de montée/descente avec les points UCI exerce une pression supplémentaire sur les coureurs. Désormais, même une place d’honneur peut avoir son importance, car le classement par équipes dépend des résultats des 20 meilleurs coureurs de chaque formation. « Avant, les coureurs ne prenaient pas de risque sur les courses de préparation. Aujourd’hui, toutes les courses sont importantes, les enjeux sont accrus », précise le sélectionneur de l’équipe de France Thomas Voeckler. Cette pression accrue pousse les coureurs à prendre davantage de risques, comme l’admet Pello Bilbao, acteur au Tour du Pays Basque.

L’idée de David Lappartient, président de l’UCI, d’instaurer des cartons jaunes et rouges pour les coureurs les plus agressifs ou maladroits, est également évoquée.  Pour l’ancien coureur Jonathan Hivert, « leur courage n’a d’égal que leur connerie. La majorité des problèmes vient de leur comportement. Il n’y aura malheureusement jamais plus con qu’un coureur en course. » Un constat sévère renforcé par la prise de gelulles de caféine avant le départ d’une course qui augmente l’excitation des coureurs. En outre, les coureurs doivent aussi être moins obnibulés par leur capteur de puissance, sur lequel on peut également consulter une carte de son itinéraire. A forcer de regarder leur guidon, ils perdent leur concentration.

Des lacunes techniques

Parmi ces coureurs manquant d’adresse, on peut pointer notamment les jeunes qui passent chez les pros de plus en plus tôt, avec souvent moins d’expérience de la course en peloton, à l’image d’un Remco Evenepoel: « Certains viennent d’autres sports et ne sont pas passés par les différentes strates des écoles de vélo, avance Paul Brousse, sélectionneur de l’équipe de France féminine. « Ils ont de gros potentiels physiques, mais aussi parfois des vraies lacunes techniques ».

Point de vue partagé par Jean-Jacques Henry, en charge de la détection à l’UCI. « Par contre, il y d’autres coureurs européens qui pourraient être meilleurs techniquement mais ce travail n’a pas été fait. Les gamins évoluent de catégorie en catégorie et n’ont pas le temps de corriger leurs défauts. Après, en évoluant à un plus haut niveau, les entraîneurs ne s’occupent généralement que des Watts et des programmes d’entraînements. Ils ne vont pas corriger tout ce qui est technique. »

En outre,  la préférence accordée aux stages d’entraînement plutôt qu’aux courses de préparation contribue à la perte de repères de certains coureurs lorsqu’ils retournent en peloton après plusieurs semaines sans compétition. Même si la remarque ne vaut pas pour Mathieu van der Poel.

Airbags, oreillettes, braquets, frein à disque

Pour restreindre le nombre d’incidents, il est impératif d’explorer divers axes simultanément. Le président de l’UCI, vivement ému par la chute de Wout van Aert qui l’a laissé « dépourvu de maillot », estime qu’un examen approfondi de la nature des équipements de protection s’impose. Il suggère ainsi l’éventuelle adoption de dispositifs de type airbag, tels que des protections dorsales ou des épaulières inspirées du football américain. Cette question demeure donc à suivre avec attention.

Il est également nécessaire d’interroger le rôle des oreillettes. Bien qu’elles puissent potentiellement jouer un rôle de prévention, il est souvent constaté qu’elles incitent les coureurs à se placer en tête du peloton lors de passages cruciaux en course. Selon Mael Guégan, coureur au sein de l’équipe Nantes U Atlantique, elles ont exacerbé la nervosité en course. De plus, il est impératif d’accroître les dispositifs de signalisation des virages dangereux. La chute survenue au Tour du Pays Basque aurait peut-être pu être évitée avec la présence d’un signaleur ou d’un support visuel ou sonore.

De plus, une limitation des braquets réduirait la vitesse au sein du peloton. « Aujourd’hui, on met du 56×10. Ils roulent à 80 km/h dans les faux plats descendants. Quand ça tombe, vous n’avez aucun moyen de vous en sortir », s’inquiète Pascal Chanteur, le président du syndicat des coureurs français. Cette inquiétude est partagée par Valentin Madouas, qui souligne que de nombreuses équipes utilisent ce type de braquet, rendant difficile la compétitivité pour ceux qui ne les possèdent pas.

SafeR, pour plus de sécurité

De même que les avancées technologiques se heurtent à une limite. Le matériel, gage de performance accrue, pourrait aussi être moins sécurisant. « L’évolution du matériel a fait gagner quelques kilomètres par heure », confirme Thomas Voeckler. Cyrus Monk, arrivé en dernier hors-délais, a roulé plus de deux kilomètres par heure plus vite que Fabian Cancelarra, vainqueur en 2010.

Il est également pertinent de se pencher sur l’utilisation des freins à disque. « Le freinage à disque pose problème. Si sur du freinage d’anticipation, c’est merveilleux, dès que vous êtes en situation d’urgence, vous partez immédiatement à la faute », expliquait à Pascal Chanteur. Paul Brousse se montre mesuré sur la question : « Ces freins permettent d’atteindre des vitesses plus élevées, parce qu’on retarde le freinage. Mais c’est aussi plus fiable qu’avec des patins, où il était parfois difficile de s’arrêter sous la pluie ».

Conscient que  » les syndicats de coureurs attendent des mesures rapides « , David Lappartient s’est félicité que les quatre familles du cyclisme (organisateurs, coureurs, équipes, UCI) aient  » accepté ensemble de créer SafeR « , un organe censé œuvrer pour la sécurité des coureurs. Toutefois, ses débuts ont été reportés. En ce début de saison, cette entité n’était toujours pas opérationnelle. Le premier axe d’étude pour Safer sera d’analyser les pneus tubeless montés sur des jantes sans crochets. En attendant, « les intérêts de chacun empêchent d’avancer sur la question. Les directeurs sportifs ne veulent pas enlever l’oreillette, les organisateurs de courses veulent absolument faire l’arrivée à tel ou tel endroit, les marques de cycles veulent utiliser des freins à disque. » A l’image de cette déclaration de Marc Madiot, les acteurs tournent en rond et devraient arrêter de chicaner.