Ramadan et sport de haut niveau : comment la Pro League s’adapte-t-elle ?
Du 28 février au 30 mars, les musulmans pratiquants traversent une période sacrée : le ramadan, mois saint faisant partie des cinq piliers de l’islam et incontournable pour tout croyant. Durant cette période, les musulmans ne peuvent ni manger, ni boire avant le coucher du soleil. Un défi pour tout un chacun, mais encore plus pour les sportifs : comment les footballeurs professionnels, en Jupiler Pro League comme ailleurs, parviennent-ils à coupler leur foi à des performances de haut niveau ?
L’entraîneur Rik De Mil pointe du doigt la fatigue due au ramadan
Samedi dernier, après la défaite de Charleroi contre le KV Malines, Rik De Mil avait brandi le ramadan comme l’une des explications à un « manque d’énergie » supposé de la part de ses joueurs : « Plusieurs de nos joueurs n’avaient pas mangé », expliquait-il. La rencontre débutait en effet à 18h15, soit avant le coucher du soleil (prévu aux alentours de 18h45). Et la Pro League n’a pas prévu de protocole permettant aux joueurs musulmans de rompre le jeûne, comme l’avaient décidé les Pays-Bas la saison passée, par exemple.
“Blessures” comme solution : les joueurs trouvent leur propre moyen
Bien sûr, difficile de ne pas voir dans ces déclarations du coach carolo un peu de mauvaise foi : après tout, dans les rangs malinois, des cadres comme Ahmed Touba, Rafik Belghali et Kerim Mrabti respectent eux aussi le ramadan. Mais la question est brûlante chaque saison. On se rappelle de ces scènes surréalistes en 2024 : à 18h50 quasi-précise, dans trois stades différents à travers la Belgique, trois gardiens de but – Maarten Vandevoordt, Tobe Leysen et Hervé Koffi – s’étaient soudainement écroulés, « blessés ». Le temps qu’ils reçoivent des soins, et les joueurs musulmans des deux équipes rompaient le jeûne. Une action planifiée par les staffs de divers clubs, face à l’absence de protocole mis en place par la Pro League.
Comment le ramadan influence-t-il les performances des joueurs musulmans ?
Y a-t-il ou non une façon de gérer ce qui, par définition, appartient à la sphère privée du joueur… mais peut potentiellement avoir un effet néfaste sur ses performances, et donc sur son club, s’il n’est pas suivi avec sérieux ? Des petites adaptations sont parfois mises en place. En 2024, Sporza suivait Tarik Tissoudali dans son quotidien : le Marocain était notamment autorisé à arriver plus tard au club, après le déjeuner du reste de l’équipe, afin de prendre un peu plus de repos. Une demi-heure de sommeil en plus qui peut faire la différence, car celle-ci se loge dans les détails.
Politique de recrutement : les clubs évitent-ils les joueurs musulmans ?
Tout dépend aussi, bien sûr, du nombre de joueurs faisant ramadan. Certains cyniques suggèrent que les clubs recrutent moins de joueurs musulmans s’ils savent que le mois de ramadan tombe dans une période clef de la saison – par exemple en plein Playoffs en Pro League, en avril-mai, qui plus est quand le soleil se couche beaucoup plus tard. Impossible de vérifier de telles allégations, qui seraient démenties par tout directeur sportif sain d’esprit, et surtout très difficile d’y accorder le moindre crédit quand on voit le nombre de talents issus de pays du Maghreb, ou même de familles belges musulmanes, au sein de notre championnat.
Les joueurs musulmans réagissent : “Le ramadan nous donne justement plus d’énergie”
Zakaria El Ouahdi en fait partie, et était très clair dans les colonnes du Belang Van Limburg en 2024 : « Il y a beaucoup d’ignorance, certains pensent que le Ramadan nous affaiblit physiquement. C’est l’inverse, ces semaines intenses nous donnent un supplément d’énergie », affirmait-il. Interviewé par Walfoot sur le sujet, Faïz Selemani, ancien joueur de Courtrai, confirmait : « On pourrait manquer d’énergie, on ne saura peut-être pas donner le meilleur de nous-mêmes physiquement. Mais notre foi nous porte aussi dans ces périodes ». Le Comorien reconnaissait cependant que pour de jeunes joueurs peu expérimentés et qui vivent leur premier ramadan en tant que sportif de haut niveau, le défi est réel. « Mais il faut savoir que c’est interdit de se mettre en danger pour faire ramadan. Si tu ne te sens pas prêt, tu n’es pas tenu de le faire ! ».
Les clubs s’adaptent
Bref : même dans le respect de la foi de chacun, difficile de faire « comme si de rien n’était ». À la RAAL, où 12 joueurs jeûnent, on serait naïf de ne pas s’adapter. « La première semaine est toujours compliquée car il faut que leurs organismes s’habituent, mais on met des choses en place pour que ça se passe bien », déclarait Frédéric Taquin, coach des Loups, au micro d’Antenne Centre. Sekou Sidibé, joueur de la RAAL, s’en réjouit, lui aussi auprès d’Antenne Centre : « C’est rare de nos jours que des clubs mettent de telles choses en place. C’est incroyable qu’ils fassent ce genre de sacrifice pour nous et ça montre beaucoup de respect pour notre religion ».
La Pro League reste-t-elle à la traîne par rapport aux autres compétitions ?
Lors de la dernière journée de championnat, ce week-end, la majorité des matchs se tiendra sur le coup de 18h30, peu avant le coucher du soleil. Reverra-t-on des scènes telles qu’en 2024, avec des joueurs feignant une blessure afin de permettre à leurs équipiers musulmans de se sustenter ? La Pro League n’a en tout cas pris aucune mesure cette saison non plus, estimant que les arrêts de jeu « naturels » et la mi-temps devraient suffire à rompre le jeûne. Une prise de position un peu dépassée… ?