Remco Evenepoel : la gestion des jours sans

Remco Evenepoel n’a que 23 ans, mais en est déjà à sa cinquième année chez les professionnels. Depuis que le belge a rejoint la crémerie de Patrick Lefevere, son palmarès s’est étoffé, tutoyant les sommets et additionnant les nombreux succès. Seulement pour gagner, il faut apprendre à composer avec les défaites. Apprendre à s’adapter, gérer les mauvais jours et aussi leurs « après ». Comment l’« Aéro Bullett » a su avec son équipe se réinventer et remodeler leurs stratégie ?

La gestion des revers

Auteur d’une saison hors du commun dans les rangs juniors, Remco Evenepoel, a découvert le monde professionnel dans le Wolfpack, à l’âge de 19 ans. Tant et si bien que l’apprentissage des défaites chez les rangs espoirs, construction psychologique et sportive nécessaire, a été galvaudé. Des marches enjambées qui n’ont pas freiné le jeune neopro de la Deceuninck Quick-Step pour autant. Puisqu’il y connaitra ses premiers succès sur ses terres, puis en World Tour sur la Klasikoa San Sebastián.

Une première année d’initiation qui augurait une saison 2020 couronnée de succès. Vainqueur de la Vuelta a San Juan Internacional, la Volta ao Algarve em Bicicleta, la Vuelta a Burgos et du Tour de Pologne, le destin du jeune prodige a basculé, le 15 août, à 15h01. La carrière d’un coureur cycliste ne tient parfois qu’à un fil. Funambule sans filets dans les descentes scabreuses de Lombardie, la carrière du coureur natif de Schepdaal aurait pu s’y arrêter prématurément. Finalement, il n’aura été éloigné de la compétition que durant neuf mois, après être passé à travers pont. Une chute terrifiante qui résonne désormais comme l’acte fondateur de sa carrière.

« [Avant] ma chute, c’était tout pour le vélo […]. Rien d’autre n’entrait en ligne de compte. Maintenant, c’est complètement différent ».

Les mots de Remco Evenepoel, au micro d’Eurosport, lors du Cycling Show, ont pris une teneur particulière depuis son retour à la compétition. Être extraordinaire, promis à un destin exceptionnel, le belge a depuis teinté ses exploits sensationnels de déroutes considérables. Tout est différent. Le surdoué ne donne plus les claques, mais les reçoit aussi.

Les premières d’entre-elles reçues à sa reprise trop ambitieuse sur le Tour d’Italie 2021. Le présumé favori tomba après la première journée de repos, sur les chemins blancs de Toscane, à Montalcino. Vidé de toute énergie lors de sa première journée sans de sa carrière, ce premier revers en appellera un autre, dans les Dolomites, à Sega di Ala. Une chute qui le contraint à l’abandon sur son premier Grand Tour. Une première expérience où le leader de la Quick-Step ne fut qu’illusion. Rétrospectivement, la gestion de son équipe et le choix de l’envoyer sans aucune course de reprise n’était qu’illusoire. N’ayant eu pour mérite de lui apprendre que, sur une course de trois semaines, la vérité d’aujourd’hui n’est pas celle du lendemain.

L’art de gérer la défaite

Une mise en exergue de l’évidence enseignée sur les routes italienne au printemps suivant. Des déculottés prises sur les étapes reines des courses d’une semaine (Volta a la Comunitat Valenciana, Tirreno-Adriatico et Itzulia Basque Country) qui ont obligé, le futur champion du monde, a travaillé ses points faibles. Sur son premier Tour d’Espagne, le brabançon a mis à profit l’expérience qu’il avait accumulé et le mental qu’il a dû se forger. Comme un pied de nez à toutes ses débâcles passées, il y accentua son avance sur les pentes des sommets les plus abruptes de cette 77e édition de la Vuelta. Mais surtout y minimiser la perte lorsqu’il a dû faire face aux nombreuses chutes inévitables qui ont écorché sa jeune carrière cycliste. Désormais, Evenepoel se relève et sait rebondir lorsqu’il trépasse.

Plus encore, le belge ne cesse d’apprendre promptement. Un à un, ses défauts qu’on lui connaissait sont effacés et la palette de ce surdoué ne cesse de s’étoffer. Longtemps dépeint comme un coureur seulement capable d’exploits en solitaire, qui lui ont permis de tout emporter avec lui chez les amateurs. Désormais, Evenepoel est un rouleur, grimpeur, puncheur, qui peut l’emporter de bien des façons. Un ogre qui va manger à tous les buffets et dont l’appétit n’est jamais rassasié.

L’adaptation d’une équipe à son leader

Cette année, Remco Evenepoel a surtout dû apprendre à se canaliser. Sur le Tour de Catalogne, le coureur de la Soudal Quick-step s’est confronté à un Primoz Roglic pragmatique, tout en maitrise. Un Slovène, leader du classement général, a n’a eu de cesse de jouer avec les nerfs du plus jeune. Une leçon vite apprise par le belge, qui jura qu’on ne l’y prendrait plus. Fort décider à retourner la stratégie de son adversaire contre lui au départ du Giro d’Italia. Le maillot rose n’eut vraiment l’occasion de rendre la pareille longtemps au futur vainqueur de l’épreuve. Positif au Covid, le double vainqueur d’étape fut contraint à l’abandon. Une nouvelle désillusion sur le territoire italien qui n’a pas entamé les grandes ambitions d’Evenepoel pour autant.

Après un titre de champion du monde de contre-la-montre, Remco Evenepoel avait décidé de s’aligner sur la Vuelta a Espana 2023, pour défendre son titre de vainqueur sortant. Cette fois, nulle question de remettre son sacre en doute face au jugement impitoyable de la concurrence. Une critique acerbe qui revient, malheureusement, constamment, lorsque la couleur de la tunique de leader est autre que jaune. Et si les ambitions étaient, cependant, mesurées. Le résultat a été loin d’être celui escompté.

Victime d’un jour sans, sur les pentes du Col de l’Ausbique, sur l’étape du Tourmalet, le champion de Belgique a concédé 27’05’’ au classement général, ce 8 septembre. Dans un cyclisme où l’élite ne connait presque plus de coups de moins bien, les points d’interrogation demeurent autour de sa personne. Mais avant de répondre sur les doutes de ses capacités à briller sur le Tour de France, à être un coureur de Grand Tour, à ne pas faiblir sur trois semaines ; Evenepoel a dû complètement revoir ses objectifs à la baisse pour ses détracteurs et complètement se réinventer pour ses admirateurs.

Un trop plein d’énergie à contenir

Au lendemain de sa défaillance, la stratégie établie par Klaas Lodewyck (directeur sportif de l’équipe Soudal Quick-Step) était celle de recharger les batteries en vue de la troisième semaine. Seulement, lorsque l’on est un champion, « les difficultés ne sont pas faites pour abattre mais pour être abattues ». Sur le terrain, le belge a répondu. Dès le lendemain de sa défaillance, le lionceau blessé s’est révélé et est allé chercher un nouveau succès, cette fois en échappée, à Larra-Belagua. Les sanglots de tristesse qui coulaient sur ses joues, la veille, ont laissé place à des larmes de soulagement.

De nouveaux objectifs ont été décidés : chasser les victoires d’étape et ramener le maillot de maillot grimpeur. Pour réussir à bien sa mission, le porteur du maillot à pois a rapidement compris qu’il devait se canaliser. Au départ de Pamplona, Evenepoel était survolté. Dans l’échappée, le leader déchu de la Soudal Quick-Step en a trop fait. Et finit par payer les trop nombreux efforts consentis depuis la veille. Une leçon très vite apprise. Au lendemain de la seconde journée de repos, Evenepoel s’est laissé couler.

Pourtant sur une arrivée au sommet qui lui correspondait. Le sociétaire de l’équipe belge avait enfin compris et assimilé les ordres de priorité. Lui qui chassait tous les lièvres à Lekunberri, avait d’abord fait du maillot de meilleur l’objectif premier. Tant et si bien, que contre l’avis de la majorité des suiveurs, Remco Evenepoel avait fait le choix d’être « dans l’échappée, de prendre les points au sommet des deux premières montées et d’aviser » plutôt que d’affronter les leaders sur les pentes de l’Angliru. Un choix judicieux puisqu’il est allé conquérir un troisième succès à la Cruz de Linares.

Néanmoins, pour Remco Evenepoel la casquette de chasseur d’accessits était nouvelle. Son manque d’expérience a ainsi été patent pendant cette dernière dizaine. Wout Poels sur les pentes de San Lorenzo de El Escorial l’avait bien compris. Un Remco qui n’attaque pas, comme cela avait été le cas sur celles du Puerto de Zuarrarrate, est un Remco émoussé. Encore une fois, le super combatif de cette 78e édition de la Vuelta montrait des signes de faiblesse, dans lesquels ses adversaires se sont engouffrés. Mais c’est sur l’approche d’un sprint tactique que le belge plia l’échine face à un Néerlandais beaucoup plus éclairé dans les arrivées en petit comité.

Un bilan en demi-teinte

Au total, Remco Evenepoel aura passé six des huit dernières journées en échappée. Vainqueur de deux étapes depuis sa défaillance, le bilan comptable aurait pu être encore plus enjolivé. Vainqueur du classement de la montagne, le belge n’a guère eu de concurrence face à lui lorsqu’il s’est fixé l’objectif d’aller glaner l’étape visée. Loin de faire offense à Romain Bardet ou Damiano Caruso que de dire qu’ils ne boxent pas dans la même catégorie que le « Fantastique ».

Evenepoel est un ovni, dont le palmarès en fin de carrière devrait être l’un des meilleurs de sa génération. Clivant, fascinant et déchirant les codes, à l’image d’un Tadej Pogačar blessé, mais pas résigné ; le leader d’une Soudal Quick-Step changeant d’identité s’est battu jusqu’à la dernière seconde de ce Tour d’Espagne. Au-delà d’être le super combatif, Evenepoel aura été l’une des figures de cette édition 2023. Les raisons de son « jour sans » sont pour l’heure inexpliquées. Selon toute vraisemblance, celles-ci devraient être d’ordre diététiques-alimentaire. Une gestion de l’alimentation probablement à réviser pour atteindre son prochain objectif : gagner le Tour de France.