Strade Bianche doit-elle être un Monument ? Préface et pronostics

Les Strade Bianche, littéralement « chemins blancs », prendront le départ, samedi, de Sienne pour une 18e édition. Depuis 2007, la course toscane est devenue une indémodable dans le paysage du cyclisme moderne. Tant et si bien, cette classique italienne est plébiscitée pour obtenir le précieux sésame du sixième Monument. Pour rejoindre les illustres Milan-Sanremo, Ronde van Vlaanderen, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège et Il Lombardie au calendrier des courses emblématiques. Mais peut-on vraiment considérer les Strade Bianche comme un Monument sur la base d’éléments objectifs ? Quels sont les critères qui définissent un Monument ?

Les Strade Bianche, une course atypique

Les Strade Bianche ont toujours été une course unique en son genre. Ces chemins de terre si spécifiques en ont inspiré des changements drastiques pour des classiques reconnues (Paris-Tours) ou permis la création de nouvelles (Clásica Jaén). On peut même dire que le caractère hors norme, de la course serpentant dans les vignobles du Chianti, a favorisé l’essor du gravel. Nombreux sont, depuis deux ans, les routiers qui viennent se frotter à cette nouvelle discipline qui possèdent désormais ses championnats du monde. Un attrait du peloton pour les portions de route non asphaltée, qui se ressent à chacune des interviews, au départ de Sienne.

Les Strade Bianche, un illustre palmarès

En moins de vingt ans, le palmarès des Strade Bianche s’est étoffé de noms illustres. Cancellara, Gilbert, Kwiatkowski, Alaphilippe, van Aert, van der Poel, Pogacar, Pidcock… ont laissé leur trace sur les tablettes de la Piazza del Campo. Pour cause, le terrain impose une sélection et une course à élimination, dès le secteur n°8 (Monte Sante Maria). Dans cette configuration, seuls les plus forts réussissent à dicter leur loi tout au long de la traversée de ces sterrati toscans. Les pourcentages abrupts de la Calle Santa Caterina, juge de paix, ne voient guère plus de quatre coureurs se disputer la victoire au sommet. Les écarts finissent par y être abyssaux entre les différents groupes. Même l’« Enfer du Nord » n’enregistre pas autant d’abandons et de coureurs hors-délai que les Strade Bianche. Ce qui explique pourquoi cette classique est réservée aux coureurs de renom.

Pallier le problème de la distance

L’un des reproches fait au Strade Bianche pour ne pas lui accorder le statut de « Monument » repose sur sa courte distance. Jusqu’à l’ajout très récent d’une boucle de 30 kilomètres, la course ne dépassait pas les 200 kilomètres. Une exception dans le paysage des classiques printanières. L’édition 2024 compte marquer un tournant dans l’histoire de la course, avec cette boucle supplémentaire après le premier passage du Tolfe. Conséquence de quoi, la distance totale sera ramenée à 215 kilomètres. Un pas supplémentaire dans le supplice auquel les coureurs se livreront sur un revêtement poussiéreux sous le soleil méditerranéen, boueux sous des conditions climatiques plus difficiles. Malgré cet effort concédé par les organisateurs (R.C.S), la barrière symbolique des plus de 250 kilomètres qui caractérisent les Monuments ne sera pas franchie.

Une course qui n’en est qu’à son premier chapitre

Aussi nombreuses soient les têtes d’affiche qui se sont imposées, les Strade Bianche n’ont pas encore traversé les décennies et les siècles. L’histoire de la course de Sienne a à peine commencé à s’écrire, que ses illustres ainés ont déjà un sacré pedigree. Son pouvoir attracteur en a fait sa renommée et l’a placé comme une incontournable du calendrier World Tour. Pourtant seul le temps a permis aux cinq Monuments actuels de traverser les âges et les difficultés. La course a encore de nombreuses modifications à opérer… Peut-être ? Mais surtout du temps à se laisser, pour voir les noms s’y additionner, sans pouvoir tous les nommer.

Des fantastiques pas toujours alignés

Contrairement à la « Primavera », à l’ « Enfer du Nord », la « Doyenne » ou même le Tour des Flandres, l’édition 2024 ne verra que Tadej Pogacar à son départ. Cette fois, Mathieu van der Poel et Wout van Aert ne seront pas alignés au départ d’une course qu’il affecte particulièrement et où ils ont brillé. Un peu comme l’an passé, où les Strade étaient sacrément délaissés par ses vainqueurs passés. Une absence de marque qui vient un peu entacher l’attrait pour certains suiveurs avisés. Ce n’est pas fait offense à la concurrence que de constater l’écart de niveau entre le collectif de l’UAE émirates avec le reste du peloton. Bien qu’on puisse espérer que les Visma – Lease a Bike aient du répondant avec les hommes qui ont marqué leur début de saison.

Une course à gagner

Les Strade Bianche ne sont peut-être pas encore un Monument avec tous les éléments cités, mais c’est assurément une course qui est enviée. En premier lieu, par les grimpeurs, qui apprécieront assurément le rallongement de la distance qui poussera le dénivelé positif à 3600 mètres. La difficulté de Valiano, bosse asphaltée de 1.8 kilomètres à 5.6 % devrait ajouter la difficulté que les deux nouveaux secteurs n’ont pas. La question est de savoir si cette nouvelle boucle favorisera ou non, une course d’attente du second passage des Colle Pinzuto et du Tolfe. Une modification substantiellement intéressante, puisque le parcours était inchangé depuis 2018. Les organisateurs ont ainsi montré leur envie de se renouveler.

Une édition pluvieuse

Selon toute vraisemblance, à l’heure où ces lignes sont écrites, la météo ne devrait pas faire des siennes. Cependant, si les pluies abondantes de la veille ne frapperont pas le peloton. Les secteurs devraient être suffisamment boueux, pour avoir un remake de la victoire de Tiesj Benoot. Une édition dantesque, marquée par des visages maculés de boues calcaires, si singulières. Au bout souvenir du Giro d’Italia 2010 avec la fameuse étape de Montalcino.

Pronostics

Il faut être fou pour aller contre le vainqueur de l’édition 2022, Tadej Pogacar. Le slovène sera épaulé de Tim Wellens, très en vue sur le week-end d’ouverture des flandriennes. Ainsi que d’Isaac del Toro dont on ne compte plus les exploits en ce début de saison. Le mexicain, vainqueur sortant du Tour de l’Avenir, trouvera un terrain qu’il devrait apprécier. Vttétiste de formation, le néopro trouvera encore de quoi étonner, et peut-être détoner. Un doute subsiste sur la forme du double vainqueur du Tour de France, qui tentera le doublé Giro-Tour, cette année. Mais Tauma Pogi n’est pas du genre à laisser filer une occasion. En atteste sa victoire autoritaire, l’année dernière, à la Clásica Jaén. La question est de savoir : à quel moment va-t-il tenter de s’isoler ? Et avec combien d’avance s’imposera-t-il ? Evidemment, s’il est épargné de tout soucis mécanique.